Sur le jeûne …

 » Parlons du jeûne qui nous est rappelé en ce temps, avec plus de solennité et d’insistance. De fait, il y a un jeûne du corps, un jeûne des sens, un jeûne des actions, un jeûne de l’esprit.

 

Il y a jeûne du corps quand l’estomac est soumis à des restrictions sur la nourriture corporelle.

Il y a jeûne des sens lorsque est retiré à nos sens le plaisir auxquels ils étaient accoutumés.

Il y a jeûne des actions, lorsque le mors du repos est imposé à notre bougeotte et à nos occupations multiples.

Enfin il y a jeûne de l’esprit lorsque nous délivrons notre cœur des pensées vagabondes et nuisibles.

 

Quoi donc, le goût se délecterait de nourritures, et il n’y aurait rien pour procurer du plaisir à l’œil ou à l’oreille ? Bien au contraire, parfois même un regard de curiosité ou de convoitise, une parole inutile ou nuisible, procurent à la vue ou à l’oreille un plaisir bien plus misérable que n’en procure au goût une nourriture savoureuse et bien assaisonnée !

 

Il en est beaucoup en effet, qui ne trouvent pas moins de plaisir à des conversations inutiles ou à des occupations extérieures qu’à manger une nourriture agréable. Comme l’esprit se repaît agréablement d’une pensée vaine ou défendue, comme il savoure avec délices les investigations sur la vie du prochain ! Comme il s’engraisse de ses propres louanges et de la critique d’autrui !

 

Je laisse à votre expérience d’en juger! C’est pourquoi nous est imposé le jeûne universel de tous les plaisirs nuisibles, comme saint Benoît nous le dit dans sa Règle : « Qu’il retranche à son corps sur la nourriture et la boisson, sur le sommeil, le bavardage, la plaisanterie ». (…)

 

Et c’est bien vrai, frères, aucun jeûne n’est plus agréable à Dieu que le jeûne de sa volonté propre ! Car aucune nourriture n’est aussi douce au cœur, aussi délicieuse, aucune ne donne autant de vigueur et de joie à l’âme que l’attachement à sa volonté propre ! (…)

Oui, quoi de plus néfaste que ce qui détourne de nous les regards de tendresse de Dieu et fait ignorer ce que nous faisons à celui qui sait tout !

 

Si ce que je dis là est ma pensée personnelle, qu’on la dédaigne, qu’on s’en moque, qu’on la rejette ! Mais si c’est la pensée du Seigneur, exprimée non pas en énigmes, mais en langage clair, qu’on l’écoute, qu’on en pénètre le sens. Et qu’on y prenne garde !  » 

 

 Aelred de Rievaulx « De quadragésimale Jejunio« 

 

Aelred de Rievaulx

 

Né en 1110 en Angleterre, Aelred entre à la cour du roi d’Ecosse, David 1er.

En 1134, il se fait moine à Rievaulx. Se rendant à Rome, il rencontre Bernard à Clairvaux.

De retour à Rievaulx, il devient maître des novices puis fonde un autre monastère où il passe quelques années, avant de revenir à Rievaulx dont il est abbé pendant une vingtaine d’années, jusqu’à sa mort en 1166.

Aelred est un homme de désir. Humble, il est vrai devant lui-même, devant les hommes, devant Dieu. Il est particulièrement très « humain ». Il a beaucoup écrit et nous a laissa de nombreuses œuvres spirituelles.